Le lent étranglement de la communauté bahaïe en Iran
LA COMMUNAUTÉ bahaïe célèbre le centième anniversaire de sa présence en France, à l'initiative, en 1898, d'une jeune Américaine, May Bolles, résidant à Paris. Venus de toute l'Europe, 2 500 fidèles sont attendus lors d'un congrès bahaï, qui se tient du vendredi 27 au dimanche 29 novembre à Paris. Il sera suivi, le 5 décembre, d'un colloque inter religieux, marqué par la présence de personnalités musulmanes, catholiques, protestantes, agnostiques et juives. Ces manifestations de solidarité s'adressent à une minorité religieuse qui est l'une des plus persécutées au monde, par l'Iran des mollahs, et qui revendique un total de 6 millions de croyants.La " foi bahaïe " est née d'un mouvement de réforme sociale et morale - le " Bábisme " - lancé en Perse au milieu du siècle dernier par un jeune marchand de Chiraz, Ali Mohamad, appelé par son nom mystique " Báb ", qui préconise l'égalité des droits entre les hommes et les femmes, l'éducation obligatoire avec priorité pour les filles, la réduction des écarts entre pauvres et riches. Poursuivi comme révolutionnaire, le " Báb " est fusillé le 9 juillet 1850 à Tabriz. C'est Hossein Ali Nouri (18171892), fils d'un dignitaire de la cour persane, appelé Bahá'u'lláh (la gloire de Dieu), qui prend la relève et devient le " messager divin universel " annoncé par le " Báb ", fondateur de cette foi bahaïe.
L'essentiel de la foi bahaïe est contenu dans le message de Bahá'u'lláh, qui veut promouvoir l'" unicité " de Dieu et la paix du monde par l'unité des hommes et des religions. Dotés d'un statut consultatif auprès des Nations unies, les bahaïs s'attachent en particulier à la promotion de la condition féminine, à l'abolition de toute discrimination, au respect de l'écologie mondiale, au dialogue entre les religions. Ils se distinguent par une vie intellectuelle riche, autour de leurs nombreuses associations de médecins, d'architectes, de chefs d'entreprise ou d'artistes.
Mais l'histoire de la foi bahaïe, c'est aussi celle d'un long défilé de persécutions en Iran, où elle est née, et où ses 400 000 fidèles - en dépit des changements de dynastie et de régime - sont considérés comme des citoyens de seconde zone. L'état civil du pays n'enregistre pas les naissances, les mariages, les enterrements bahaïs. " Nous naissons comme des bâtards et, morts, on nous accuse encore de salir la terre de l'islam ", explique Foad Saberan, psychiatre à Paris, qui se plaint aussi des profanations régulières de cimetières bahaïs. Ses coreligionnaires sont soumis en Iran à des discriminations à l'emploi, au logement, aux retraites, etc. Ils sont interdits d'accès à des professions comme celles de fonctionnaire et d'avocat et soufrent d'un véritable " apartheid éducatif ", comme dit le docteur Saberan.
En septembre, une rafle a été menée contre les responsables et enseignants de l'université libre bahaïe (Bahá'í Institute of High Education), dont les cours ont lieu dans des maisons ou des ateliers désaffectés. Dans 14 villes, 530 domiciles ont été fouillés ; 36 personnes ont été arrêtées. A la mi-novembre, 4 d'entre elles n'avaient toujours pas été relâchées. Deux condamnations à mort et une peine de dix ans d'emprisonnement viennent d'être confirmées en appel par un tribunal islamique à Mashhad, le sanctuaire chiite du nord-est du pays où, en juillet 1998, un commerçant bahaï a déjà été exécuté.
A entendre les bahaïs, une telle volonté d'étranglement vient de l'incapacité de l'islam à concevoir une Révélation postérieure à la sienne. L'islam se veut la dernière Révélation monothéiste, dépassant et récapitulant les autres. Cette répression s'expliquerait aussi par la mixité entre hommes et femmes bahaïs, par leur absence de clergé, par la gestion élective de leur communauté. Le clergé chiite accuse les fidèles bahaïs d'impureté, d'apostasie, de complicité avec l'ancien régime impérial, avec Israël, ou avec l'Occident moderniste.
Des médecins ont été fusillés pour avoir soigné des femmes musulmanes.
Le régime de Téhéran reste sourd aux protestations de la communauté internationale, notamment aux mises en garde de la commission des droits de l'homme de l'ONU.
Henri Tincq