Chef d'entreprise et membre de la communauté baha'ie alsacienne, Lucien Crevel nous livre ici sa vision de l'évolution de la société humaine dans le siècle à venir, et ce à l'heure de la mondialisation et à l'aube d'un nouveau millénaire où nombreux sont ceux qui s'interrogent sur le devenir de l'humanité.
Pour certains nous nous engageons sur une voie sans issue pendant que d'autres entrevoient un âge d'or. Le phénomène de la mondialisation est ainsi perçu par une partie de la population comme une terrible menace sur les emplois, engendrée par les délocalisations et un risque majeur d'uniformisation et de perte d'identité culturelle. Alors que la prise de conscience de l'interdépendance planétaire chaque jour plus évidente et le développement des moyens de communication enthousiasme certains autres qui discernent de grandes opportunités au-delà des difficultés présentes à surmonter.
Une période noire pour l'humanitéLe siècle qui s'achève peut être considéré comme l'une des périodes les plus noires de l'histoire de l'humanité avec deux guerres mondiales et une multitude de conflits ethniques dont certains continuent de ravager des populations entières. Les historiens retiendront l'extermination délibérée de millions d'êtres humains sans défense, l'invention et l'utilisation de la bombe atomique, les dommages causés à
l'environnement et les catastrophes écologiques en découlant. Ajoutons encore le mal subi par des générations d'enfants à qui l'on a inculqué la recherche éperdue d'une soi-disant liberté individuelle dans le matérialisme, la violence et l'égoïsme. Mais il faut également noter dans la même période l'émergence d'une prise de conscience à une responsabilité collective mondiale.
Le défi de l'effet de serreLes problèmes que l'humanité aura à résoudre dans les années à venir apparaissent titanesques. Ainsi face à l'effet de serre qui nous menace tous, l'espèce humaine doit s'attaquer à un défi gigantesque et sans précédent : modifier les conditions climatiques au niveau planétaire en réduisant les émissions de gaz carbonique. Il est évident qu'aucun État " nation " fût-il très riche et puissant n'est en mesure de réussir seul une telle prouesse.
Libérer la conscience humaine" La question spirituelle essentielle qui se pose à tous les peuples, indépendamment de leur nationalité, leur appartenance religieuse, ou leur origine ethnique, déclare Bahá'u'lláh, c'est de savoir comment jeter les fondements d'une société planétaire qui reflète l'unicité de la nature humaine. L'unification des habitants du monde ne relève ni d'une vision utopique lointaine, ni, en définitive, d'un choix. C'est la prochaine étape, inévitable, de l'évolution sociale vers laquelle tendent toutes les réalisations du passé et du présent. Tant que cette question n'est pas posée ni résolue, aucun des maux qui affligent notre planète ne trouvera de solution, car tous les défis essentiels de l'époque qui s'ouvre à nous sont d'ordre mondial et universel, et non particulier ou régional ". Voilà le vrai grand défi du XXIe siècle à relever en priorité. Il nous incite à voir dans les souffrances et les ruptures de notre époque l'oeuvre de forces capables de libérer la conscience humaine pour lui faire franchir une étape nouvelle de son évolution.
Fondements d'un ordre mondialSur le plan politique, des avancées considérables sont déjà discernables. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, des dirigeants clairvoyants ont estimé enfin possible de commencer à consolider, par le biais de l'Organisation des Nations Unies, les fondements d'un ordre mondial. Un système international encore balbutiant du maintien de la paix a peu a peu fait ses preuves. Ce processus s'est accompagné de l'expansion constante, d'institutions démocratiques de gestion des affaires publiques. Si les effets pratiques de ces institutions restent décevants, ils ne diminuent en rien le caractère historique et irréversible du changement de cap ainsi opéré dans l'organisation des affaires humaines. Nous comptons dans cet ordre d'idées la construction de l'Union Européenne, la mise en place du TPI (Tribunal Pénal International) ou encore la tenue du Sommet de la Terre à Rio.
Le poids de la société civileIl convient également de mettre l'accent sur l'influence grandissante dans les relations internationales de la société civile. Aujourd'hui doté des moyens et des compétences nécessaires, un nombre croissant d'organisations non gouvernementales ( ONG) s'emploie à faire reconnaître la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme comme fondement des règles normatives internationales et à veiller à son application. Dans cette optique, les conflits ethniques qui continuent de ravager de nombreuses parties du monde sont considérées comme des aberrations délibérées, auxquelles la communauté internationale se doit de mettre un terme. Nous passons de la règle de non ingérence à celle du devoir d'ingérence.
La spiritualisation ou le chaosFace à la crise morale généralisée qui sévit actuellement, toutes les composantes de la société sont en recherche de sens et de repères. Aucun domaine n'y échappe. Les excès et les dérives de la société matérialiste occidentale apparaissent à ce titre tout aussi insupportables que ceux engendrés par l'intégrisme fondamentaliste qui sévit dans d'autres régions du monde. Pour les Bahá'ís cette évolution du cours de l'histoire n'est pas le fait du hasard. Ils sont en cela confortés par les théories de la relativité et de la mécanique quantique qui amènent les scientifiques à penser que la nature de l'univers et son fonctionnement pourraient en fait obéir à un dessein et à une intelligence intrinsèques. A mesure que la société souscrira à cette nouvelle forme de spiritualité planétaire et aux principes moraux qui lui sont liés, le rôle le plus important qu'elle pourra offrir à l'individu sera de servir autrui. L'un des paradoxes de l'être humain tient en effet à ce que son épanouissement passe essentiellement par son engagement dans de nobles causes, où il peut s'oublier ne serait-ce que temporairement.
Lucien CREVEL(c) Dernières Nouvelles D'Alsace, Dimanche 30 Janvier 2000