La dernière religion révélée veut garantir à l'humanité une paix durable en alliant progrès et morale. Ses fidèles, les Bahá'ís, dont une grande partie vit en Iran, berceau de leur foi, sont les victimes régulières de persécutions. Leur seul crime est de croire différemment.
C'est en 1844, en Perse, que l'ancêtre du Bahá'ísme, le Bábisme, voit le jour. Face aux dérives d'un fanatisme entaché de meurtre et de corruption, Seyyed Ali Mohammed, musulman chiite, annonce l'avènement d'une nouvelle ère, propice à la justice et à la paix, et l'arrivée d'un messager divin. Il dénonce les abus de pouvoir, appelle à plus d'égalité entre les sexes, incite les démunis à réclamer leur droit à une vie décente. La réaction islamiste est sanglante (20000 morts) mais ne va pas empêcher le mouvement de s'étendre. En 1863, un de ses plus fervents disciples, Mirza Hussein Ali Nouri, se proclame messie et se nomme Bahá'u'lláh, "la splendeur de Dieu". Le Bahá'ísme vient de s'établir pour toujours. Aujourd'hui, un siècle et demi plus tard, il concerne 6 millions de personnes dans 235 pays et territoires et plus de 2 000 groupes ethniques.
Accréditée à l'ONU en tant qu'ONG depuis 1948, la communauté mondiale baha'ie bénéficie du statut consultatif auprès du Conseil économique et social et, depuis 1976, auprès de l'Unicef. L'aide aux populations pauvres demeure l'une de ses principales actions. Les Bahá'ís participent non seulement à des travaux d'utilité publique dans leur pays ( programme d'alphabétisation, centre de formation, projets de développement sanitaire ), mais conduisent également des missions à l'échelle planétaire avec le concours d'associations telles que la Fédération internationale des droits de l'Homme et Amnesty International, etc.
Mais quel modèle de vie propose le Bahá'ísme pour convaincre autant d'adeptes ? Il se définit en fait comme une foi universelle et mondiale qui oeuvre à l'unité du genre humain. En clair, nous sommes tous frères, la terre n'est qu'un seul pays et tous les hommes en sont des citoyens. Son crédo est le combat pour les droits humains, à la liberté d'expression, de circulation, à la justice, à la dignité, au travail. Ses valeurs premières sont la tolérance, le respect de l'autre, mais aussi le progrès social et l'éthique. Il s'agit de construire une terre sans frontières, où les riches donneront aux pauvres, ou l'enrichissement sera forcément mutuel, signes ultimes de l'épanouissement humain. Les Bahá'ís prônent la liberté de conscience, favorisent la recherche personnelle et indépendante de la vérité, encouragent l'éducation, luttent de fait contre tous les préjugés qui avilissent l'individu, contre le racisme et les extrémismes de toutes sortes... La place qu'il donne à la femme révèle parfaitement son état d'esprit " Quand les femmes participeront pleinement et à égalité avec les hommes aux affaires du monde, et qu'elles entreront avec assurance et compétence dans la grande arène des lois et de la politique. les guerres cesseront ". Pacifistes invétérés, ils appellent à l'abolition de la guerre, inévitable étape à l'entente de l'humanité. Les principes de la loi baha'ie se veulent ainsi rassembleurs unicité de Dieu, unité des religions, unité de l'humanité, adoption enfin d'une langue universelle. Précurseur d'une certaine idée de la société mondiale, le messie écrivait : " Tous les peuples du monde, à quelque race ou religion qu' ils appartiennent, tirent leur inspiration spirituelle d' une même source céleste et sont les sujets d' un seul Dieu...La religion doit servir à l'union et à l' harmonie des peuples du monde. N'en faites pas une cause de différends et d' hypocrisie. " Mais au XX° siècle, alors que la riche Europe se prépare à une grande guerre, les préceptes du Bahá'ísme sont sauvagement combattus par les chiites et la répression se poursuit encore aujourd'hui.
Les persécutionsNée en Iran, la religion baha'ie est postérieure à l'islam. Inadmissible pour les Iraniens dont le prophète, Mahomet, est considéré comme le dernier des envoyés de Dieu. Ce point de discorde religieux va très vite légitimer les poursuites et les condamnations pour hérésie. Persécutés par le pouvoir et mis au ban de la nation, les Bahá'ís doivent faire face à l'interdiction pure et simple de leur dogme, c'est-à-dire à la négation même de leur existence. Revendiquer sa foi baha'ie, c'est encourir la peine de mort ou, fait devenu coutumier, la "disparition". en plus d'être hérétiques, cette communauté minoritaire (néanmoins la plus grande du pays) est jugée pour atteint à l'intérêt national, puisqu'elle prône ce que tous les mollahs récusent, notamment l'égalité entre les femmes et les hommes ou plus généralement l'accès à la modernité ; mais aussi pour traîtrise, leur siège spirituel mondial, "La maison universelle de justice", étant située sur le mont Haïfa en Israël. Ainsi, les Bahá'ís se sont vus confisquer tout droit de cité dans la vie socio-économique de l'Iran. Les 350000 fidèles, qui se sont simplement engagés à vivre sur leur lieu de naissance, sont les continuelles victimes d'oppressions plus abjectes les unes que les autres. Il y a moins de cinq mois, à Mashad, un baha'i, père de famille quinquagénaire, a été arrêté pour avoir converti une femme, puis a été exécuté. Et il n'est malheureusement pas le seul dans ce cas. D'autres, accusés de profession satanique, croupissent dans des cellules en attendant un verdict inquisitorial. Victimes de discriminations devant la justice, ils ne peuvent prétendre à un avocat, sont jugés de manière expéditive, parfois dans le secret, et n'ont de ce fait jamais de véritable procès. Un Bahá'í suspect est un coupable d'office ! Sans possibilité de recours, accusés de comploter contre le régime, ils sont condamnés à des peines exagérées, quel que soit le délit. Dans tous les cas (non respect du code de la Route par exemple), on ne juge pas le forfait, mais la foi du prévenu. Quand un musulman écope d'une simple amende, le Bahá'í a toutes les chances de disparaître, de décéder dans des circonstances troubles. Sa seule chance de survie est l'abjuration et la conversion immédiate à l'Islam. La police politique iranienne, qui c'est d'ailleurs spécialisée dans le redressement de cette communauté qu'elle abhorre au même titre que les athées, s'emploie à éliminer celui qui s'y refuse. On compte des milliers de morts et de disparus, des centaines d'exécutés. Ceux qui échappent à la prison sont condamnés à une existence de non-droits. Interdits d'enseignement secondaire et d'université, ils sont coupés du monde du travail et réduits à la misère. Privés d'emploi mais aussi de biens (même leurs lieux de prière ont été démolis !), les anciens salariés - licenciés ou retraités - sont condamnés à rembourser à l'État l'argent qu'ils ont perçu. Le grand cinéaste Bahram Beyzaï a été écarté de la vie artistique du pays au seul motif de son origine baha'ie ! Et comme si la persécution des vivants ne suffisait pas le pouvoir s'attaque aux morts, en détruisant en masse les cimetières. Il s'agit officiellement de générer de l'espace pour la construction de centres culturels et autres parcs de loisirs dans les grandes villes (Téhéran en est un parfait exemple). En vérité, c'est une façon ignoble de s'en prendre à la mémoire de cette communauté, une volonté d'effacer toute trace de son passage en déportant les ossements vers des fosses communes.
Coup du sortNul ne peut s'enfuir puisque les Bahá'ís ne sont pas autorisés à sortir du territoire. D'être née en Iran, régime réactionnaire notoire, la religion de Bahá'u'lláh est victime d'un tragique coup du sort. Considérés comme " infidèles non protégés " dans les pays islamiques, c'est-à-dire non reconnus comme adeptes d'une religion monothéiste, ils peuvent être condamnés à mort pour apostasie et toujours réduits au silence et à la pauvreté. Minoritaires, ils ne sont pas seulement persécutés par les mollahs, mais partout où les régimes exercent une hégémonie sur les populations qui ne leur ressemblent pas. On parle ainsi de bon nombre d'abus en Turquie... Alertée par les crimes perpétrés contre cette communauté, l'ONU agite ses déclarations solidaires. Chaque année, avec d'autres organismes comme le Parlement européen, elle vote des résolutions condamnant l'oppression. La récente volonté d'ouverture de l'Iran à la scène internationale le force à mesurer ses ardeurs. Espérant plus de modernité, la population soutient plus ou moins tacitement le message de progrès et de liberté prôné par les Bahá'ís. Mais cela suffit-il vraiment ? Face à une police secrète encore très efficace, les mots, fussent-ils des nations les plus puissantes, ne feront jamais que reporter les persécutions d'un mois, d'une semaine ou d'un jour. La communauté mondiale baha'ie, lasse d'attendre qu'on veuille enfin la laisser tranquille, risque de se replier, de s'éparpiller ou de rompre le dialogue. Dans tous les cas, ce sera un mal. Un mal pour eux bien sûr, mais aussi et davantage pour nous tous.
Antoine SPIRE, journalisteLa Chronique d'Amnesty - février 1999, pages 16 et 17.