(Le lotus symbolise ce prophète qui, issu de la boue du monde, apparaît pur, saint, à la surface de l'onde de la connaissance )
Par Pierre Spierckel ( Aujourd'hui guide-conférencier du Patrimoine, Pierre Spierckel participe à la traduction d'ouvrages, notamment Bahá'ís, et à la rédaction de guides touristiques )
Le voyageur qui arrive par avion au-dessus de New Delhi ne peut manquer de remarquer l'énorme fleur de lotus en marbre blanc qui s'épanouit entre des bassins d'eau fraîche à l'écart de la ville. Le "Temple du Lotus ", comme l'appellent les dépliants touristiques, est le plus récent des sept temples Bahá'ís construits dans le monde. Il obéit aux même exigences que les six autres : avoir neuf côtés menant à un hall central et recevoir la lumière naturelle.
À partir de ce programme simple, l'architecte du temple Bahá'í de l'Inde a réalisé une merveille d'une grande complexité. La structure est composée de trois rangées de neuf pétales chacune, partant d'un socle qui surélève la construction au-dessus de la plaine environnante. Les deux premières rangées, incurvées vers l'intérieur, entourent le dôme. La troisième se courbe vers l'extérieur pour former des gables * au-dessus des neuf entrées. Le hall central est entouré de neuf arches qui constituent le principal support de la superstructure. Une série de lanterneaux * filtrent la lumière vers un hall central dépouillé, où l'absence d'autel ou d'estrade renvoie à l'absence de hiérarchie, de clergé et de liturgie qui caractérise la foi baha'ie. Neuf bassins, également en forme de pétales de lotus, entourent le temple. L'éclairage extérieur est disposé de telle sorte que la structure du lotus semble flotter sur l'eau.
Les plaques de marbre qui le recouvrent, provenance du mont Pentelikon d'où fut extrait le marbre qui servit aux plus beaux bâtiments de la Grèce antique, protègent des coques en ferro-ciment dont l'armature a été galvanisée pour résister au climat humide. Ce marbre froid et lisse contraste avec l'intérieur en plâtre taloché * et fortement structuré par des arcs de décharge harmonieusement entrelacés.
Une fois posée la première pierre en 1980, il fallut six ans à l'architecte iranien, à l'ingénieur britannique, à l'entrepreneur et aux ouvriers indiens pour en venir à bout. Mais les Bahá'ís du monde entier ont aussi participé à sa construction par leurs contributions. Le temple a été entièrement dessiné sur ordinateur. Sa construction a été exécutée grâce à l'utilisation massive d'une main-d'oeuvre locale qui a ainsi bénéficié de retombées économiques de l'entreprise. L'implication des plus humbles, dans ce bâtiment grandiose et moderne, n'est pas sans rappeler l'édification des cathédrales d'autrefois : le béton a été monté par des femmes portant des paniers en équilibre sur leur tête et l'intérieur des pétales taloché à la main.
Sa forme, la fleur de lotus, que l'on retrouve partout dans l'architecture et l'art indiens, symbolise la spiritualité et la pureté dans l'hindouisme et le bouddhisme. La fleur de lotus se rencontre également dans nombre d'édifices islamiques ainsi que dans ceux de la Perse antique. Ce lotus aux pétales entrouverts montre l'inachèvement de l'aventure humaine mue par la religion de Dieu, " éternelle dans le passé, éternelle dans l'avenir", qui se manifeste au cours des âges dans les différents messages religieux ayant façonné l'homme et son histoire. Le Verbe divin parle aux hommes selon leurs capacités et leurs besoins. Le Dieu tout autre se révèle à l'humanité d'âge en âge par l'intermédiaire de ces fondateurs de civilisations : Moïse, Bouddha, Jésus-Christ, Muhammad, et aujourd'hui, Bahá'u'lláh. Le lotus symbolise cet avatar, ce prophète qui, issu de la boue du monde, apparaît pur, saint, à la surface de l'onde de la connaissance.
Les églises sont orientées vers Jérusalem, les mosquées vers La Mecque. Le temple Bahá'í est orienté vers le ciel. Ses neufs côtés symbolisent l'ouverture à tous, la diversité des voies qui mènent au Seigneur et les riches potentialités de l'humanité, pour qui rien n'est définitif, rien n'est sclérosé, tout est toujours possible, y compris le meilleur.
On pénètre pieds nus dans le temple en signe de respect, et chacun peut y prier comme il l'entend, s'il ne gêne pas les autres. Le service religieux officiel symbolise la recherche de la vérité à laquelle tout homme est librement appelé : il comporte des textes choisis dans les Livres saints de toute l'humanité. Le temple Bahá'í n'est que le coeur d'un futur complexe de bâtiments qui devront répondre aux multiples besoins de la population, dans le souci de l'équilibre entre matériel et spirituel : éducation, soins aux malades et aux personnes âgées, hospitalité des voyageurs, etc.
Bahá'u'lláh (se prononce Bahá'u'lláh), dont l'enseignement est à l'origine de la foi baha'ie (1844), nomme ces bâtiments les Machrécol-Azkar, ce qu'on pourrait traduire par " Lieu des invocations matinales" et que les Bahá'ís appellent couramment des " Maisons d'adoration" : " Construisez dans les villes et au nom du Seigneur de la Révélation des maisons aussi parfaites que possible sur terre... " Les sept Maisons d'adoration baha'ies existant aujourd'hui dans le monde témoignent de la persévérance avec laquelle les Bahá'ís ont commencé à mettre en oeuvre cette injonction du fondateur. Qu'elles se trouvent en Ouganda (Kampala), aux Etats-Unis (Chicago), en Australie (Sydney), à Panama, aux îles Samoa et en Allemagne (Francfort), cela témoigne de la vaste diffusion géographique de la foi baha'ie, aujourd'hui implantée dans de très nombreux pays. On ne peut parler encore d'" art baha'i", quand on sait que cette révélation n'a que cent cinquante-six ans d'existence en l'an 2000. La culture des Bahá'ís ne peut que refléter l'extraordinaire diversité des cultures et des hommes du monde. L'approche culturelle baha'ie, telle qu'elle apparaît dans le Temple du Lotus, vise à atteindre l'universel, non à partir d'une culture mondiale uniformisée, mais en se fondant sur les richesses multiculturelles de l'humanité.
A l'image de ces artistes Bahá'ís qui ont reconnu s'être inspirés de leur foi - Mark Tobey en peinture, Bernard Leach en poterie, Dizzy Gillespie dans le jazz, pour ne citer que les plus célèbres -, l'architecte du Temple du Lotus, Fariborz Sahba, a su faire de son oeuvre un symbole riche de sens. Symbole de l'altérité du divin, au-delà de la diversité des approches de l'homme : de loin on croit saisir la forme du temple et, plus on s'en approche, plus il devient difficile à l'esprit de distinguer ce qu'il voit. Symbole de l'unité de l'homme au-delà des diversités culturelles et technologiques, alliance étonnante de l'informatique et des outils médiévaux : on a transporté le ciment dans des couffins. Symbole de l'unité des messages religieux au-delà de la diversité de leur naissance et de leur évolution : ses neuf côtés d'importance égale s'ouvrent aux vents de l'esprit.
Au temple Bahá'í de l'Inde, des volontaires du monde entier viennent servir pour un temps et accueillent les nombreux visiteurs, pour la plupart indiens. Quelles que soient leurs origines ethniques, religieuses ou culturelles, ces volontaires attestent que le rêve qui hante les hommes depuis des millénaires devient réalité : l'établissement de la paix sur terre.
Bibliographie :Forever in Bloom, the Lotus of Bahapur, photographies de Raghu Rai, textes de Roger White, New Delhi, Time Books International, 1992.
De l'auteur :Gable : Elément décoré en forme de triangle allongé, servant sur un clocher à masquer le passage d'un plan carré à un plan hexagonal, ou élément décoratif de même forme au-dessus des portails des églises gothiques
Lanterneau : Construction basse en surélévation sur un toit, pour l'éclairage ou la ventilation
Talocher : tendre du plâtre sur un mur, avec une planchette, la taloche