3. Les phénomènes aléatoires et non aléatoires en science
4. Dieu existe"Si tu recherches le véritable savoir et la connaissance de Dieu... efforce-toi d'utiliser des arguments rationnels et convaincants. De tels arguments guident vers le chemin et orientent le coeur vers le Soleil de vérité. Lorsque le coeur se tourne vers le Soleil, les yeux s'ouvrent et reconnaissent le Soleil par le Soleil lui-même. S'il atteint cette condition, l'homme n'a plus besoin d'arguments ni de preuves, car le Soleil est totalement indépendant. L'indépendance absolue ignore tout besoin et les preuves sont des moyens dont l'indépendance absolue se passe complètement." (1)
Le conseil donne par 'Abdu'l-Bahá a celui qui recherche Dieu semble contenir au moins deux éléments: d'abord, que les arguments rationnels sont des points de départ utiles et nécessaires pour approcher Dieu; ensuite, que pour acquérir une connaissance plus profonde et plus juste de Dieu, il convient de dépasser ce type d'arguments, puisque cette connaissance va essentiellement au-delà du rationnel.
Il est intéressant de relever que, selon 'Abdu'l-Bahá, l'étude des arguments rationnels a pour résultat de tourner le coeur vers Dieu. Comme si donner des preuves logiques de l'existence de Dieu n'était pas une fin en soi, mais plutôt un moyen de se familiariser plus profondément avec la présence divine. Or, tous les grands philosophes et toutes les traditions religieuses ont présenté des preuves de l'existence de Dieu, et 'Abdu'l-Bahá lui-même en fournit de nombreuses dans ses écrits. Celles-ci sont pour la plupart des variantes aux arguments philosophiques classiques, à commencer par celui bien connu d'Aristote concernant l'existence d'un moteur premier.
Toutefois, dans l'épître qu'il adresse en 1921 au scientifique suisse Auguste Forel, 'Abdu'1-Bahá offre une preuve résolument moderne de l'existence de Dieu, fondée sur certains faits et principes lies au phénomène de l'évolution biologique (2). Il fait valoir qu'a l'origine de la composition (et de la décomposition) des êtres vivants, il doit y avoir une force non observable, objectivement existante et volontaire (autrement dit une force consciente, extérieure au processus même de l'évolution). Cette force étant à l'origine de l'humanité, elle doit être supérieure aux êtres humains et est, par conséquent, un Être doté de capacités surhumaines (3).
'Abdu'l-Bahá a probablement été le premier à développer ce dernier argument. Celui-ci n'aurait certainement pas pu être présenté sous cette forme bien avant le début du XXe siècle pour la simple raison que la théorie scientifique de l'évolution sur laquelle il repose n'a été développée qu'au XIXe siècle. Qui plus est, la plupart des scientifiques qui acceptèrent la théorie de l'évolution étaient des philosophes matérialistes pour qui cette théorie, loin de prouver l'existence de Dieu, rendait la question de Dieu non pertinente. Bien que des arguments semblables à ceux d' `Abdu'l-Bahá aient été avancés dans la littérature plus récente dans le domaine de la philosophie des sciences (4), je n'en ai pas encore trouvé qui soit plus ancien, voire contemporain, de l'épître d' 'Abdu'1-Bahá à Auguste Forel (5).
L'argument fondé sur l'évolution n'est pas la seule preuve de l'existence de Dieu produite dans l'épître à Auguste Forel. Toutefois, ce type d'argument est unique de par son utilisation d'idées scientifiques sophistiquées, et sa force risque être sous-estimée par celui qui ne connaît pas certains principes fondamentaux de la thermodynamique (6). Aussi, plutôt que d'adopter une approche historico-critique de la preuve d' `Abdu'l-Bahá, nous nous proposons de présenter ici une formulation parfaitement moderne de cet argument, en utilisant des termes scientifiques qui n'étaient pas nécessairement usuels au moment ou 'Abdu'l-Bahá a écrit ce texte. En adoptant cette approche, nous espérons appréhender la pleine mesure de l'argument d' `Abdu'l-Bahá. Par conséquent, le reste de cette étude sera consacré à reformuler soigneusement et de manière détaillée la preuve d' `Abdu'l-Bahá dans un langage scientifique contemporain.
[Traduit de "A Scientific Proof of the Existence of God" - Association d'Etudes Bahá'ies - ISBN: 2-940067-07-4. Cet article a été publié à l'origine en russe sous le titre "Nauchnoe Dokazastelstvo Soushchestvovaniya Boga" (Kiev: Phoenix Press, 1992). La version anglaise actuelle et sa traduction française intègrent certaines corrections et adjonctions suggérées par divers lecteurs anonymes de The Journal of Bahá'í Studies a qui l'auteur exprime ses sincères remerciements.]
1. La nature de la preuve scientifiqueNotre preuve se voulant scientifique, il nous faut commencer par une brève discussion sur la nature de la science et celle de la preuve en science. Cette discussion est d'autant plus nécessaire que des idées fausses sur la nature de la preuve scientifique sont communément répandues.
La science présente deux aspects fondamentaux. L'un tient à sa dimension concrète ou observable: nous accumulons des observations d'un certain phénomène et les enregistrons sous forme d'énoncés d'observations. Ce registre constitue alors, pour nous, un ensemble de vérités ou de faits observes sur le phénomène en question.
Le second aspect de la science tient à sa dimension abstraite ou théorique. Après avoir accumulé un certain nombre d'énoncés d'observations à propos d'un phénomène, nous cherchons à expliquer ces observations. Nous essayons de comprendre comment les divers faits relatifs au phénomène sont liés entre eux. En d'autres termes, comment et pourquoi le phénomène se produit et comment il fonctionne. Cette quête nous conduit à formuler une hypothèse (ou si vous préférez une théorie) qui représente la façon dont nous concevons mentalement la dynamique qui sous-tend le phénomène. Ce type de théorie est habituellement exprimée dans un langage abstrait, autrement dit qui emploie des termes se référant à des entités ou à des forces non observables (par exemple des entités telles que les électrons ou des forces telles que la force nucléaire forte). Les énoncés d'observations sont au contraire exprimés en termes concrets, c'est-à-dire à l'aide de mots qui se réfèrent à des entités ou à des configurations observables.
Pour vérifier la justesse des énoncés d'observations, des observations et des mesures supplémentaires, toujours plus exigeantes, s'imposent. Toutefois, les limitations naturelles, intrinsèques à l'appareil sensoriel et au système nerveux humains, ne permettent jamais d'éliminer complètement les risques d'erreurs dans les observations d'un phénomène donné, aussi soigneux et exigeants que nous soyons. Cette remarque vaut particulièrement pour les phénomènes extrêmement petits (voire microscopiques) ou fort lointain (par exemple, les étoiles lointaines), mais elle reste aussi valable de façon générale, même pour des phénomènes quotidiens, normalement accessibles. Aussi le degré de vérité des faits (énoncés d'observations) est-il toujours relatif. La croyance largement répandue selon laquelle les faits de la science sont absolus et irréfutables est par conséquent fausse.
Tester la vérité des énoncés théoriques de la science est une démarche encore plus compliquée. Nous commençons par déduire de la théorie de nouveaux énoncés d'observations par voie de conséquence logique. Puis, nous vérifions ces énoncés par la méthode habituelle. Autrement dit, si, selon notre théorie, tel phénomène doit se produire, nous vérifions qu'il se produit effectivement. Si notre théorie affirme que la neige est blanche, nous nous assurons qu'elle est effectivement blanche. Les nouveaux énoncés d'observations obtenus par déduction de la théorie sont appelés des prédictions de la théorie, et si notre expérience les confirme, alors la théorie est considérée comme valable, ce qui signifie qu'elle a été "validée ou confirmée par l'observation".
Par conséquent, le degré de vérité d'un énoncé théorique de la science est également relatif, car, à supposer que toutes les prédictions courantes d'une théorie aient été confirmées par l'observation, rien ne permet d'exclure la possibilité qu'a l'avenir, de nouvelles prédictions se révèlent erronées. Il est également possible qu'ultérieurement de nouvelles expérimentations viennent réfuter des prédictions admises qui semblaient justifiées au vu des expériences du moment.
Quant au degré de vérité des théories, nous nous trouvons donc dans une situation paradoxale, voire plutôt comique. Il est possible de prouver de manière presque absolue qu'une théorie est fausse: en effet si ses prédictions contredisent de manière flagrante des observations éminemment authentifiées, elle ne peut pas être juste. Il faudra alors l'abandonner ou la modifier d'une façon ou d'une autre. Mais quel que soit le nombre des prédictions confirmées par l'observation, il est toujours possible que cette théorie soit ultérieurement réfutée, soit à partir de nouvelles prédictions venant contredire les expériences connues, soit à partir de nouvelles observations venant contredire des prédictions connues.
Vers le début de ce siècle, on pensait qu'il était possible d'établir les règles d'une logique prétendument inductive qui nous donnerait les moyens de passer d'un ensemble de cas particuliers à une conclusion générale avec le même degré de précision que la logique déductive nous permet de passer de principes généraux à des conclusions particulières. On sait désormais que cela n'est guère possible, même en principe. Selon un théorème de logique mathématique, il existe, en général, un nombre infini de théories mutuellement incompatibles, toutes compatibles avec un ensemble fini de faits donnés. Compte tenu de la finitude des êtres humains, il ne pourra jamais exister qu'un ensemble fini de faits concernant un phénomène donné. Il en résulte qu'aucun ensemble d'énoncés d'observations ne pourra déterminer une théorie unique pour expliquer le phénomène. Pour reprendre les termes d'un logicien, "la théorie est sous-determinée par le fait" (7).
Aussi l'action de rassembler des faits et celle d'énoncer une théorie sont-elles en quelque sorte mutuellement indépendantes. Alors que rassembler des faits relève d'une démarche lente et progressive, établir une théorie résulte d'un bond créateur et discontinu de l'imagination. Pour rassembler des faits, il nous faut chercher à savoir comment les choses sont. Pour concevoir une théorie, il nous faut essayer d'imaginer comment les choses pourraient être.
Il s'ensuit incontestablement qu'aucune vérité scientifique ne saurait être considérée comme ayant été prouvé de manière absolue. La notion de preuve absolue est tout simplement étrangère à la science. La croyance largement répandue est erronée, selon laquelle la caractéristique essentielle de la vérité scientifique est son caractère absolu et exact (soi-disant en opposition avec la relativité et l'imprécision de la vérité philosophique et religieuse). Si certains déplorent cette relativité de la vérité scientifique, elle présente un aspect nettement positif en ce sens qu'elle fait de la recherche de la vérité en science une entreprise dynamique et progressive plutôt que statique et stérile. De plus, l'efficacité de la méthode scientifique a été puissamment confirmée par sa capacité à engendrer un nombre croissant de théories hautement validées résultant de l'application systématique de cette méthode durant les siècles derniers.
En somme, on peut dire d'une proposition qu'elle est scientifiquement prouvée des lors qu'elle a été rendue considérablement plus plausible (ce qui signifie probablement vraie) que toute autre option connue et logiquement possible. Aussi, parler d'une preuve scientifique de l'existence de Dieu revient-il à affirmer que nous pouvons rendre la proposition selon laquelle Dieu existe considérablement plus plausible que n'importe quelle autre alternative connue (en particulier celle qui affirme que Dieu n'existe pas). En d'autres termes, nous pouvons savoir que Dieu existe avec le même degré de certitude que nous savons que la force nucléaire forte ou que les électrons existent. Ces questions méthodologiques ayant été considérées, passons maintenant à la preuve en soi.
2. Réalité visible et invisibleEtablissons en premier lieu le principe de l'existence objective d'un monde invisible, c'est-à-dire d'une portion de réalité extérieure à la subjectivité humaine mais inaccessible à l'observation humaine. En d'autres termes, le fait qu'il est des forces et des entités impossibles à observer directement mais qui existent objectivement, c'est-à-dire indépendamment de toute perception humaine.
Commençons par un exemple très simple. Supposons que nous lâchions un petit objet, par exemple un crayon, que nous tenons entre le pouce et l'index. En l'observant s'écraser au sol, nous disons que la force de gravitation a provoqué sa chute. Reprenons l'expérience. Peut-on réellement voir une force quelconque agir sur le crayon et le pousser ou le tirer vers le bas? Non, à l'évidence. En aucun cas la force de gravitation ne peut être observée. Mais, pour expliquer ce mouvement descendant, qui serait autrement inexplicable, nous déduisons l'existence de quelque force invisible (appelée gravitation) qui agit sur les objets libres.
Maintenant, regardons à nouveau avec plus d'attention la configuration initiale du crayon et posons-nous la question suivante: au moment ou l'on lâche le crayon, quelles sont les directions logiquement possibles qu'il pourrait prendre, et ce, strictement à partir de ce que nous pouvons observer dans la configuration? La réponse est naturellement que toute direction est logiquement possible. De ce que nous pouvons observer physiquement, rien n'empêche le crayon d'aller dans une quelconque direction; de ce que nous pouvons observer, rien ne semble favoriser une direction plutôt qu'une autre. Et pourtant, ce que nous observons en fait, c'est qu'une seule direction (descendante) est privilégiée, car on aura beau répéter l'opération, le crayon continuera de tomber vers le bas. Par conséquent, ce que nous observons en fait, c'est une déviation persistante et significative du hasard.
En science, le comportement d'un phénomène observable est dit aléatoire (dû au hasard) si toutes les possibilités logiques se réalisent avec une même fréquence relative. En d'autres termes, si le comportement d'un objet libre, comme le crayon lâché, était en fait aléatoire, il faudrait s'attendre à ce que d'autres possibilités logiques se réalisent de temps à autre. Or nous observons non seulement que les diverses possibilités logiques ne se réalisent pas avec la même fréquence relative mais encore qu'une seule est privilégiée à l'exclusion des autres. Aussi, ce que nous observons en fait c'est une déviation persistante, logique et significative du hasard, et c'est cette déviation du hasard (qui ne présente aucune raison observable) qui nous amène à évoquer l'existence d'une force non observable comme étant la cause du comportement observable non aléatoire.
Cet exemple emprunté à la gravitation illustre un principe général de la méthode scientifique: des lors que nous rencontrons un phénomène observable qui, sans aucune raison observable, présente une déviation persistante du hasard, nous nous sentons logiquement en droit d'affirmer que le comportement observé et non aléatoire est dû à l'action de quelque force ou entité non observée. En réalité, envisager le contraire serait parfaitement illogique et antiscientifique. L'existence de chacune des quatre forces fondamentales de la physique actuelle (gravitation, interactions nucléaires forte et faible, et force électromagnétique) a été déduite de la sorte. Ce principe est si fondamental que, s'il était réfuté, cela entraînerait l'effondrement de tout l'édifice scientifique.
Remarquons toutefois que nous n'avons pas prouvé de manière absolue l'existence de la gravitation. Il est logiquement possible (bien qu'évidemment hautement improbable) que tous les cas observés de l'action de la gravitation, du début de l'histoire connue jusqu'à ce jour, ne constituent qu'une coïncidence incroyable. Un sceptique dirait: "Je comprends pourquoi vous croyez que la gravitation existe, mais je préfère croire qu'il n'y a pas de force invisible de ce type." Il ajouterait que nous pourrions nous réveiller demain dans un monde totalement chaotique et désordonné, avec des objets libres volant dans toutes les directions, et nous nous apercevrions alors que toute l'expérience de milliers d'années était qu'une série de coïncidences particulièrement remarquables.
Ainsi que nous l'avons conclu de notre examen de la méthodologie scientifique, il ne nous est pas possible de réfuter de manière absolue l'opinion du sceptique. Nous pouvons, naturellement, lui faire remarquer combien la probabilité qu'il ait raison est infinitésimale, mais il reste libre de choisir de persister dans une croyance non plausible. Cependant, il ne peut maintenir son scepticisme antigravitation tout en se voulant scientifique et rationnel. Nous avons établi que l'existence d'une force invisible de gravitation est de loin la plus plausible parmi toutes les alternatives connues, et celui qui choisit délibérément une alternative moins plausible est par définition antiscientifique et irrationnel (une fois de plus, cela n'a rien à voir avec le fait de reconnaître l'existence d'autres possibilités logiques, aussi improbables qu'elles soient).
Pour revenir à notre exemple, soit la chute d'objets libres, remarquons que nous avons démontré bien plus que la simple existence de forces ou entités invisibles ou non observables. Nous avons montré que des effets observables peuvent fort bien avoir des causes non observables. Nous avons montré que, dans de nombreux cas, des comportements observables n'ont pas une explication qui relève de l'observable. Pour employer un langage plus philosophique, nous avons montré que le monde visible ne se suffit pas à lui-même, qu'il ne contient pas une "raison suffisante" pour lui-même: les phénomènes de la réalité visible sont produits par (ou dérivent d') une réalité invisible.
Illustrons ce propos par une analogie simple. Imaginez que nous soyons debout au bord d'un immense océan, l'océan et ses profondeurs cachées représentant l'immensité de la réalité invisible. De temps à autre, un poisson saute hors de l'océan pour y retourner aussitôt. Le bref instant pendant lequel le poisson est hors de l'eau représente un phénomène de réalité visible.
Cette analogie illustre parfaitement la conception de la réalité physique selon la physique moderne (en particulier selon la théorie quantique): les macro-objets de la réalité visible consistent en des milliards et des milliards de petits quanta énergétiques appelés particules élémentaires, qui se trouvent dans des états d'équilibre relatif mais temporaire et en mouvement perpétuel. Ces particules viennent d'une réalité invisible (l'énergie pure) et, dès l'instant ou leurs équilibres sont rompus, elles retournent à la réalité invisible.
3. Les phénomènes aléatoires et non aléatoires en science
Dans l'exposé qui précède, nous avons établi le principe méthodologique scientifique suivant: des l'instant où un phénomène présente une déviation observable, persistante, et significative du comportement aléatoire, sans l'intervention d'une cause observable, nous sommes en droit de conclure à l'existence d'une force ou d'une entité invisible qui serait la cause du phénomène. Il nous faut maintenant aller plus loin et nous demander s'il existe un principe scientifique quelconque qui nous permettrait de définir ce qui est probable et ce qui ne l'est pas. Les configurations ou phénomènes probables sont ceux qui sont plutôt aléatoires. En revanche, les configurations improbables sont celles qui résultent plutôt de l'action de quelque force invisible (en l'absence de cause observable, bien entendu).
Ce principe existe effectivement en science. Il s'agit du deuxième principe de la thermodynamique (le fameux principe d'entropie), développé pour la première fois par l'ingénieur français Carnot (1796-1832) et le physicien allemand Clausius (1822-1888). Nous examinerons deux énoncés ou formulations de cette loi, la première formulation est informelle et heuristique, la seconde, plus précise et plus formelle. Toutes deux, néanmoins, sont scientifiquement correctes.
Le premier énoncé est le suivant: le désordre est probable et l'ordre improbable. Ou encore, de manière plus élaborée: l'ordre, la structure, et la complexité sont improbables, tandis que le désordre, la simplicité et l'uniformité sont probables. Le bon sens nous aide à vérifier la justesse de cette affirmation: l'ordre, en effet, ne représente que quelques configurations spécifiques tandis que n'importe quelle configuration logiquement possible représente le désordre. Développons ce dernier point.
Comparons un tas de briques et une maison de briques bien construite. Le tas représente le désordre et la maison l'ordre. Pour transformer une maison de briques en tas de briques, brique par brique, nous avons toutes sortes de façons logiquement possibles de procéder. Nous pouvons commencer par retirer une première brique, n'importe laquelle, puis une seconde, n'importe laquelle, et ainsi de suite. Toutes les possibilités mènent à un tas de briques. Mais pour transformer un tas de briques en une maison de briques, un bon nombre de façons concevables sont physiquement impossibles. Impossible par exemple de commencer par le haut sans avoir au préalable disposé un nombre donné de briques en bas. Aussi le fait de transformer une maison de briques en un tas de briques relève d'une logique qui mène de l'ordre au désordre, ou de l'improbable au probable. A l'inverse, transformer un tas de briques en une maison de briques bien construite représente un processus qui du désordre mène à l'ordre, autrement dit du probable à l'improbable.
Ainsi, si nous construisions une maison de briques dans la forêt et que nous l'abandonnions aux forces de la nature pendant cinquante ans, il n'y aurait rien de surprenant à la retrouver réduite à l'état de tas de briques. Mais si nous laissions un tas de briques dans les mêmes conditions pendant cinquante ans, il serait très étrange de retrouver une maison de briques à sa place. La surprise que nous ressentirions alors serait à la mesure de notre intuition du bien-fondé du deuxième principe de la thermodynamique (9).
Passons maintenant au deuxième énoncé du principe, plus formel. Commençons par donner quelques définitions. Par système physique, on entend toute entité (ou objet) physique ou toute collection de telles entités. Les entités qui composent un système physique en sont les composantes, et toute collection de composantes d'un système forme un sous-système. Un système physique isolé est un système qui ne reçoit aucune énergie de l'extérieur du système. Nous pouvons maintenant énoncer: dans un système physique isolé, le désordre croît. De plus, si le système demeure isolé, le désordre va croître jusqu'à ce que ce système atteigne l'état appelé entropie maximale ou désordre total. Le système aura alors atteint un état stable, au-delà duquel aucun changement ne pourra survenir sans un apport énergie extérieur au système, et cela, d'une manière appropriée. Moins formellement, on pourrait dire que tout système dégénère vers le désordre s'il est "laissé à lui-même"
Cette formulation du deuxième principe de la thermodynamique conduit naturellement à se poser la question de savoir s'il existe ou non des systèmes physiques véritablement isolés. Dans l'état actuel des connaissances, il n'en existe aucun qui soit totalement isolé (à moins que l'univers physique ne soit un système fermé, ce qui est incertain). Par exemple, la plupart de l'énergie du système solaire vient du soleil, mais il existe aussi des radiations et énergies qui proviennent de l'extérieur du système solaire. Il existe toutefois de nombreux systèmes relativement isolés qui ont toujours confirmé le deuxième principe de la thermodynamique. En réalité, de tous les principes et lois de la science, celle loi est parmi les plus universellement vérifiées et hautement validées.
Il convient, à ce stade, de faire ressortir un point capital. Selon le deuxième principe de la thermodynamique, tout système isolé va nécessairement dégénérer vers le désordre, mais cela n'exclut pas que des systèmes non isolés puissent eux aussi dégénérer! Pour éviter cette dégénérescence vers le désordre, il n'est en général pas suffisant de fournir au système énergie brute. L'énergie doit être fournie sous une forme adéquate et de manière telle que le système puisse en convertir une certaine mesure en ordre (ou l'utiliser pour complexifier sa structure). Ce mécanisme dépendra de la nature du système lui-même (les relations entre les composantes du système), la façon dont il évolue, et dont il interagit avec l'extérieur.
Donnons ici deux exemples. On admet que le mouvement brownien des molécules d'air dans une pièce fermée est totalement aléatoire. Supposez que l'on y débouche un flacon de parfum hautement volatile. La configuration initiale, lorsque le flacon contient l'ensemble du parfum, représente l'ordre. Lorsque le parfum est libéré et commence à se volatiliser, le mouvement brownien des molécules d'air va rapidement le répandre jusqu'à ce qu'il soit uniformément distribué dans toute la pièce. Il s'agit là d'une dégradation naturelle vers le désordre, qui peut totalement s'expliquer par la nature aléatoire du mouvement brownien. Supposez maintenant que nous modifiions expérience en ajoutant de la chaleur par radiation issue d'une source extérieure à la pièce. La hausse de la température de l'air dans la pièce ne fera qu'augmenter la vitesse du mouvement brownien, accélérant ainsi la diffusion du parfum (ainsi que la dégénérescence vers le désordre du système). L'apport énergie extérieure en l'occurrence n'entraînera pas une quelconque évolution vers l'ordre.
Deuxième exemple: prenez la croissance (complexification) du système de la plante feuillue sur la terre. Elle dépend du processus de photosynthèse dans les feuilles, sous-système de la plante. La photosynthèse utilise la lumière solaire directe comme source énergie extérieure. Si cette lumière était complètement éliminée et remplacée par une autre forme énergie, comme la chaleur par exemple, la croissance de ces plantes cesserait. Ainsi la structure interne de la plante feuillue lui permet-elle d'utiliser une certaine forme énergie extérieure (lumière solaire directe) pour accroître sa complexité, et donc évoluer vers un ordre plus grand. Mais d'autres formes d'apport énergétique peuvent très bien ne pas entraîner de croissance ni de complexification (en réalité un apport énergétique excessif ou inapproprié risque même de détruire le système).
Par conséquent, le monde observable (la réalité visible) est compose de systèmes physiques. Certains évoluent d'un état moins probable vers un état plus probable; d'autres sont (plus ou moins) statiques ou stables; d'autres enfin évoluent d'un état plus probable vers un état moins probable. Pour ce qui est des systèmes appartenant à la première catégorie, on peut les considérer comme le résultat d'un processus aléatoire. Les systèmes stables, eux, sont soit dans un état d'entropie maximale, soit maintenus dans un état constant (ou de fluctuations périodiques) par des apports énergétiques extérieurs continus (par exemple les systèmes dissipatifs de Prigogine) (10). Ceux qui présentent une évolution d'états plus probables vers des états moins probables ne peuvent pas résulter du hasard. Leur type de croissance ne peut être causé par un apport énergétique observable (de même que la croissance d'une plante sur terre est alimentée par l'énergie solaire) ou alors par quelque force non observable (invisible). C'est ce dernier cas que nous allons examiner maintenant (11).
4. Dieu existePensons à tous les systèmes physiques de l'univers observable et demandons-nous quels sont ceux qui sont les plus complexes, les plus hautement ordonnés, les plus structurés. La réponse est claire et sans équivoque: c'est l'être humain, et en particulier le cerveau humain et son système nerveux central, qui constituent, sans l'ombre d'un doute, l'ensemble le plus sophistiqué des entités agissantes dans l'univers connu (12). Selon tous les critères de comparaison, et considérant tous les systèmes physiques connus, naturels ou artificiels, l'être humain physique est de loin le système le plus hautement ordonné et complexe. Dans ce qui suit, nous entendrons par être humain être physique et non, à moins de le préciser, être humain au sens métaphorique, culturel ou spirituel.
Nous pouvons d'ores et déjà tirer une première conclusion: l'être humain étant la structure la plus hautement ordonnée de l'univers observable connu, il est le plus improbable de tous les systèmes physiques et donc celui qui a le moins de chance d'avoir été crée par un processus aléatoire. Examinons donc le processus qui a produit être humain, et que nous appelons évolution.
En premier lieu, il nous faut établir les faits concernant le processus d'évolution (pour autant que nous les connaissions). Les éléments observables de ce phénomène résident principalement dans des traces fossiles, retrouvées dans des couches de sédiment en divers endroits de la planète. Si ces traces présentaient des contradictions ou des ambiguïtés, l'interprétation de ces données poserait un problème majeur. Mais ce n'est pas le cas. Toutes ces couches sédimentaires font apparaître la même configuration de base, à savoir que les formes de vie plus complexes, plus élevées ont succédé aux plus simples, aux moins complexes. En d'autres termes, le processus d'évolution a été un processus de complexification, de mouvement à partir d'une simplicité et d'un désordre relatifs vers une complexité et un ordre relatifs. Le processus a donc été celui de progression à partir de configurations plus probables vers des configurations moins probables.
S'il est aisé de s'engager dans des discussions compliquées sur l'âge exact de l'univers physique, du système solaire, de la terre, ou bien sur la durée d'existence des conditions de vie sur terre avant l'apparition de la vie elle-même, il n'en reste pas moins que le schéma de base est incontestablement clair. La terre existe depuis quelques milliards d'années (selon un grand nombre d'experts, l'âge de la terre est d'environ 4.5 milliards d'années). Les premières formes de vie, les plus rudimentaires, auraient été les algues bleu-vert, qui seraient apparues il n'y a pas moins de 2 milliards d'années. Quoi qu'il en soit, une longue période (peut-être un milliard d'années) a suivi cette première apparition des algues, pendant laquelle celles-ci étaient les seules formes de vie. Les algues ayant prolifèré, d'autres formes primitives de vie végétale sont ensuite apparues.
Au moyen de la datation radioactive et d'autres méthodes, on a pu établir avec une assez grande certitude que les premières formes rudimentaires d'invertébrés ne sont pas apparues avant environ 600 millions d'années. Ainsi le processus d'évolution, des animaux unicellulaires à l'émergence de l'être humain, arrive à maturation (il y a environ 50 000 ans) n'ayant pas pris plus de 600 millions d'années, ce qui représente, d'un point de vue géologique, un laps de temps relativement court. Pendant ce laps de temps, un phénomène du type expérimentation illimité ou "à extrémité ouverte" n'aurait donc pas pu avoir lieu pour l'évolution. De plus, on estime à environ un millier le nombre des espèces apparues pendant la période entre l'apparition des organismes unicellulaires et celle des êtres humains arrivés à maturité. Dans chaque cas, la transition d'une espèce à une autre s'est faite d'une configuration inférieure (et donc plus probable) à une configuration plus élevée (et donc moins probable). Enfin, les preuves apportées par les traces fossiles montrent invariablement que l'évolution n'a pas été un processus lisse et progressif. Au contraire, il y a eu de longues périodes de stase et de stabilité (les "plateaux"), ponctuées de plus courtes périodes de changement rapide (vers la complexification).
Ainsi évolution est-elle clairement un exemple d'un processus présentant une déviation significative et persistante du hasard. Au cours d'une période donnée et limitée, il y a eu un mouvement persistant et récurrent de configurations plus probables vers des configurations moins probables. Il est par conséquent contraire à la science et à la raison d'attribuer ce phénomène au hasard. En réalité, si elle était laissée au hasard, la transition d'une espèce à la suivante pourrait prendre aussi longtemps que la durée de vie de la terre elle-même, et si on considère le processus évolution dans son ensemble, il faudrait multiplier ce chiffre par mille, ce qui donne un nombre bien plus élevé que la durée vie estimée de l'univers (du "commencement" jusqu'à aujourd'hui).
Compte tenu de ces considérations, nous sommes scientifiquement en droit - en fait nous y sommes contraints par la logique de la méthodologie scientifique - de conclure que le processus de révolution est le résultat de l'action d'une force non observable. En particulier, nous, êtres humains, sommes le "produit final" de révolution et devons donc notre existence à cette force. Il semble raisonnable d'appeler cette force "Dieu", mais quiconque se sent gêné par cette appellation peut tout simplement la nommer "force évolutionnaire" (ou plus précisément, "la force qui a produit l'évolution et donc l'être humain"). De plus, il est plus que raisonnable de supposer que la force d'évolution diffère de toutes les autres forces découvertes à ce jour ou conjecturées par la science. En effet, dans l'état actuel de nos connaissances, aucune autre force n'aurait pu produire le phénomène de révolution (13).
Or, tout comme pour la gravitation, un sceptique peut très bien refuser d'accepter l'existence de la force évolutionnaire en choisissant de croire que l'évolution était un phénomène aléatoire, une série de coïncidences hautement improbables. Cependant, en faisant ce choix, il renonce à toute prétention scientifique et rationnelle. Du point de vue de la méthodologie scientifique, il faut toujours choisir l'option la plus probable parmi tous les choix connus logiquement possibles. Bien qu'il soit logiquement possible que l'évolution ait été un processus aléatoire, ce n'est certainement pas l'éventualité la plus probable. Le sceptique, en particulier s'il s'agit d'un scientifique en fonction, se doit alors d'expliquer pourquoi il ou elle accepte et suit ce principe fondamental de la méthodologie scientifique ailleurs, mais fait une exception du cas de l'évolution. Si l'on n'éprouve aucune difficulté à croire à la gravitation ou à l'interaction nucléaire forte, fondées toutes deux sur des preuves analogues à celles de la force évolutionnaire, alors pourquoi résister de façon irrationnelle à croire à la force de l'évolution ?
Nous prétendons avoir accompli ici notre intention de donner une preuve scientifique de l'existence de Dieu. Nous avons montré, à partir d'un phénomène observable (l'apparition de l'être humain), que l'existence d'une cause non observable est la plus raisonnable de toutes les possibilités logiques connues. On pourrait toutefois se poser la question suivante: dans quelle mesure sommes-nous en droit de nommer la force motrice de l'évolution "Dieu" ? Pourquoi n'appelons-nous pas "Dieu" la gravitation ou l'interaction nucléaire forte ? C'est de cela que nous allons traiter dans la section suivante.
5. La nature de DieuAcceptons comme admis, pour le reste de l'exposé, l'existence d'une force invisible qui serait la cause du processus de l'évolution et donc de l'être humain, qui en est le produit final. De prime abord, il pourrait sembler bien arbitraire et gratuit d'identifier ce type de cause à Dieu. Toutefois, si nous réfléchissons un peu, nous nous assurons que ce n'est pas le cas.
Pour commencer, nous savons que cette force est capable de produire un être présentant toutes les subtilités et les raffinements dont nous, êtres humains, sommes dotés. Si nous n'appelons pas "Dieu" la gravitation ou l'interaction nucléaire forte, c'est parce que les effets produits par ces forces ne sont pas aussi étonnants que ceux produits par la force évolutionnaire. Dans le même esprit qui a motivé notre approche de base tout au long de cet exposé, nous pouvons nous demander s'il est raisonnable ou non de supposer qu'une force capable de produire un effet comme l'être humain soit au moins aussi ingénieux que celui-ci. Cette hypothèse semble aussi raisonnable (sinon plus) que toute autre possibilité logique.
En fait, nous savons avec certitude que cette force est capable de faire au moins une chose que nous ne pourrions jamais faire, à savoir donner naissance à la race humaine. Effectivement, cette dernière n'existait même pas pendant que cette force faisait avancer l'évolution. Nous sommes le résultat de l'action de cette force, et nous lui devons notre existence. C'est elle qui nous a crées.
Dans notre discussion sur les réalités visible et invisible, nous avons déjà noté que, du point de vue de la physique moderne, la réalité invisible produit une réalité visible et, en fait, englobe voire même dépasse la réalité visible. On peut donc fort bien supposer que la cause invisible de l'évolution (et donc de l'être humain) englobe voire dépasse les humains. En particulier, notre propre expérience de nous-mêmes nous apprend que nous disposons d'un intellect conscient et du libre arbitre. Il n'est par conséquent pas déraisonnable de penser que la force ou entité qui est la cause de notre existence possède aussi des facultés de conscience, d'intelligence, et de volonté - et très probablement dans une mesure bien supérieure à la notre. La seule autre possibilité est de croire qu'une force aveugle, inconsciente, dénuée de toute intelligence, a pu donner naissance à une créature dotée d'intelligence consciente.
En réalité, s'il est au moins une chose que nous sachions, c'est bien que nous avons une subjectivité consciente, car c'est à travers elle que toute connaissance a lieu. Notre subjectivité est donc la condition la plus fondamentale de notre existence. C'est l'espace intérieur dans lequel chacun de nous vit, et nous savons que notre subjectivité et notre conscience sont le résultat de l'action de cette force. Ainsi, la connaissance de la nature de la force qui nous a crée peut être sondée le mieux par une connaissance plus profonde de ce qui nous est le plus immédiatement accessible, c'est-à-dire notre être le plus intérieur. Il nous semble donc que la connaissance de l'existence et de la nature de Dieu repose sur le fondement le plus solide qui soit.
Notes1. 'Abdu'l-Bahá. Bahá'í World Faith, pp. 383-384 (traduction provisoire).
2. 'Abdu'l-Bahá, Lettre d"Abdu'l-Bahá au Professeur Auguste Forel.
3. Ibid., pp. 16-18.4. Par exemple, on retrouve de nombreux éléments de l'argument d' `Abdu'l-Bahá dans une série d'ouvrages du philosophe et scientifique français Pierre Lecomte du Noily, qui débute avec "L'homme devant la science" (1939) et se clôt par "L'homme et sa destinée" (1948). Après une analyse quelque peu analogue à celle du présent essai, Lecomte du Noily conclut carrément que "l'explication de l'évolution de la vie par le hasard seul n'est pas soutenable de nos jours" ("L'homme et sa destinée", p. 48).
Toutefois, pour des raisons qu'il serait fastidieux de mentionner ici, Lecomte du Noily est beaucoup moins clair que ne l'est 'Abdu'l-Bahá lorsque celui-ci conclut à l'existence d'une force agissante externe qui serait la cause de l'évolution. Lecomte du Noily opte au contraire pour une notion peu claire et pas très convaincante, celle du "téléfinalisme" en biologie. Pour lui rendre justice cependant, il faut reconnaître qu'à l'époque ou il a traité de ces questions, la science des systèmes n'avait pas encore opèré certaines de ses avancées fondamentales.
Une autre approche plus récente de ces questions se trouve dans l'article de K. V. Laurikainen "Quantum Physics, Philosophy, and the Image of God" (1990). Bien que Laurikainen fasse preuve d'une grande perspicacité dans cet article, celui-ci diverge sur quelques points significatifs de l'approche adoptée ici et préalablement (voir Hatcher, "Logic and Logos", en particulier les pages 49-51). Entre autres choses, je n'adhère pas au subjectivisme de Laurikainen, et je rejette le contraste net qu'il voit entre les méthodes de la mécanique quantique et celles de la macrophysique et de la science en général.
En d'autres termes, je ne pense pas que la mécanique quantique soit une exception méthodologique à la pratique scientifique en général. Mais j'ai plutôt le sentiment que certaines de ses observations, appliquées à la science en général, sont justes et perspicaces.
5. Dans "Dieu passe près de nous", Shoghi Effendi qualifie la "Lettre d' `Abdu'l-Bahá au Auguste Forel" de "l'une des plus importantes que le Maître écrivit jamais".
6. L'argument fondé sur l'évolution présente une similarité superficielle avec la classique "preuve par le dessein" selon laquelle la réalité observable ne pourrait s'accompagner de l'ordre et de la régularité qui sont les siennes sans qu'une telle structure soit l'oeuvre d'un Architecte conscient.
Toutefois, l'argument fondé sur l'évolution traite de la dynamique du développement de systèmes physiques complexes, et non uniquement de la configuration ou de la structure qui résulte de cette dynamique. Ce trait distinctif de l'argument d' `Abdu'l-Bahá le différencie des arguments cosmologiques classiques ou des preuves par le dessein.
Toutefois, les liens entre les développements de la physique moderne et l'argument classique sont de plus en plus admis. Par exemple, selon le physicien Laurikamen, "l'ancien argument par le dessein a en fait été renforcé par les développements de la physique moderne, la tendance vers des théories de plus en plus générales permettant de déduire un nombre croissant de faits à partir d'un petit nombre de principes de base (axiomes). Ce développement, à son tour, a fait clairement apparaître une étonnante structure logique dans la réalité physique - preuve convaincante d'une origine rationnelle de l'existence, supérieure à l'intelligence humaine. Par ailleurs, l'intelligence humaine semble être liée à cette intelligence supérieure dans la mesure où nous sommes de plus en plus à même de dévoiler les prodigieux secrets de la nature. En langage religieux, cela s'exprime par la métaphore selon laquelle les êtres humains ont été crées à l'image de Dieu" ("Quantum Physics", p. 402).
7. Quine, Word and Object, p.78.8. Pour une discussion plus approfondie sur ces questions méthodologiques, ainsi que pour les références à la littérature sur le sujet, voir Hatcher, Logic and Logos, en particulier les pages de l'essai regroupées sous le titre "Mythes, modèles et mysticisme". pp. 19-59.
9. Cette illustration du principe d'entropie est tirée de Hatcher, "The Science of Religion", p. 23.
10. Prigogine et Stengers, La nouvelle alliance.11. Les différents principes discutés dans cette section ne constituent qu'une petite partie de la théorie des systèmes dynamiques. Cette théorie vénérable a été récemment vulgarisée sous le nom de la "théorie du chaos", où le terme chaos est plus ou moins (bien que pas exactement ni toujours) équivalent à l'utilisation qui est faite ici du mot hasard ou désordre. Tous ces termes se réfèrent à une certaine catégorie d'états d'un système (des états "chaotiques" ou désordonnés).
La vulgarisation actuelle de la théorie du chaos fait penser à la fameuse théorie des catastrophes, qui a été vulgarisée de la même manière il y a environ vingt ans. Une "catastrophe" n'est qu'un nom illustratif donné à une certaine forme de transition d'un état à un autre à l'intérieur d'un système dynamique. Pour une brève discussion sur tous ces termes rapportés à un exemple spécifique, voir Hatcher, Logic and Logos, pp. 128-129.
12. Voir, par exemple, la série des quatre volumes The Neurosciences.
13. C'est la raison pour laquelle la théorie actuellement admise de l'évolution rente d'expliquer le mouvement de l'évolution vers le haut (vers un ordre plus grand) comme étant une heureuse coïncidence entre deux phénomènes aléatoires: l'action de la sélection naturelle (soit essentiellement, l'impact aléatoire de l'environnement) sur des mutations aléatoires (changements génétiques spontanés).
En présentant son argument, 'Abdu'1-Bahá considère une troisième possibilité logique étrangère tant au hasard qu'à l'hypothèse d'une force externe. Il appelle cette troisième voie nécessité ou contrainte inhérente, mais la rejette aussitôt en faisant valoir que "l'assemblage des différents éléments qui forment les êtres... ne peut être obligatoire car, dans ce cas, la composition devrait être une propriété inhérente aux composants, et la propriété inhérente d'une chose ne peut, en aucune manière, en être séparée...
Dans ces conditions, la décomposition de n'importe quel corps compose serait impossible puisque la propriété inhérente à un corps ne peut lui être enlevée." ("Lettre d' `Abdu'l-Bahá au Professeur Auguste Forel" - p. 17). Si nous n'avons pas inclus cette partie de l'argument d' `Abdu'l-Bahá, c'est parce qu'il est généralement connu et admis par les scientifiques que le processus d'évolution n'est pas dû à une nécessité intrinsèque quelconque. En effet, les éléments physiques qui composent des formes de vie plus élevées, telles que l'être humain, peuvent très facilement se retrouver dans d'autres systèmes et sous d'autres formes. Aussi, il semblerait qu' `Abdu'l-Bahá n'ait considéré cette possibilité que pour faire le tour logique de son argument, et non parce qu'il la jugeait une véritable possibilité physique.
14. Selon les écrits Bahá'ís, les enseignements des Manifestations de Dieu constituent l'instrument le plus efficace pour acquérir la connaissance de soi, laquelle mène à son tour à la connaissance de la nature de Dieu. Pour une discussion sur le rôle de ces figures historiques à cet égard, voir, par exemple, Hatcher, "The Concept of Spirituality".
Ouvrages cités :- Lettre d' `Abdu'l-Bahá au Professeur Auguste Forel, Maison d'Editions Bahá'ies, Bruxelles, 1974.
Bahá'u'lláh and 'Abdu'1-Baha- Bahá'í World Faith, Wilmette, 111.: Bahá'í Publishing Trust. 1956.
Hatcher, William S.- The Concept of Spirituality, Bahá'í Studies, vol. 11. Association for Bahá'í Studies. Ottawa. 1982.
- Logic and Logos, Oxford: George Ronald. 1990.- The Science of Religion, Bahá'í Studies, vol. 2. Association for Bahá'í Studies. Ottawa. 1980.
Laurikainen, K. V.- Quantum Physics. Philosophy, and the Image of God: Insights from Wolfgang Pauli, Zygon 25.4 (December 1990): pp. 391-404.
Lecomte du Noily, Pierre- L 'homme devant la science. Paris: Gallimard. 1939.
- L 'homme et sa destines. Paris: La Colombe. 1948.
The Neurosciences- A Study Program, Edited by Quartron, Melnechuk and Schmitt. New York: Rockefeller Press, 1967.
- Second Study Program. Edited by F. O. Schmitt. New York: Rockefeller Press, 1970.
- Third Study Program. Edited by Schmitt and Worden. Cambridge: MIT Press, 1974.
- Fourth Study Program. Edited by Schmitt and Worden. Cambridge: MIT Press, 1979.
Progogine, I. et Stengers, I.- "Dieu passe près de nous", Maison d'Editions Bahá'ies. Bruxelles. 1976.